17 Novembre 2015
Je me souviens de la chaleur des après-midi d’été, lorsque nous étions bien loin de l’école, et que notre seule activité consistait à jouer.
Ma mère nous imposait de faire la sieste après le repas, mais nous étions déjà trop grands pour pouvoir dormir, et nous obtenions de nous reposer à l’ombre, couchés dans des chaises longues. Très vite, lorsque la maison reposait sous le silence et le poids du soleil, nous quittions nos places pour reprendre nos histoires où nous les avions laissées, le matin.
Le soleil pesait lourd à ce moment de la journée, et il n’était pas rare que la transpiration coule le long de nos visages, mais nous nous sentions bien.
Ce que je préférais par dessus tout, c’était la fin de la sieste, lorsque ma mère reparaissait, aussi transpirante que nous, et qu’elle me demandait d’aller acheter de “l’agua lemon” ou du “créponnet”!
Ces deux rafraîchissements, à base de citron, me donnaient l’occasion de partir me promener.
La distance ne devait pas être énorme, mais dans ma mémoire, je revois la rue à descendre, elle était fraîche, parce qu’ombragée par la taille des immeubles, puis c’était un plus grand boulevard, absolument désert, où pas une voiture ne se hasardait sous le feu du soleil, et où seul un enfant partait chercher sa glace, avec un bocal en plastique mou pour la ramener, aussi vite que possible, pour le goûter.
Il fallait donc être rapide au retour, mais à l’allée, j’avais le temps de m’arrêter devant un petit magasin de jouets, la porte était toujours ouverte, mais l’intérieur baignait dans le noir profond de l’ombre salvatrice.
Dans la petite vitrine, je choisissais infiniment le petit soldat que j’allais acheter pour compléter mes armées, et ce n’était pas facile de choisir entre les marins en blanc, les chasseurs en bleu et la légion en beige, cette légion qui me fascinait lors de ses défilés au pas lent, sous sa musique aux accents graves, musique qui voulait ressembler à une menace...
J’adorais le chasseur blessé, courbé en arrière, la main sur son ventre que j’imaginais ensanglanté...
D’ailleurs, bien des années plus tard, quand j’ai racheté ce même petit soldat pour ma collection, je m’étais empressé de peindre, autour de la main posée sur le ventre, des traces de sang bien rouge, sûrement pour exorciser ce souvenir, et cette douleur de mon enfance, cette blessure que les hommes se font sans cesse, pour assouvir des haines que je ne comprenais pas, et que je ne crois pas encore comprendre...
La haine et la violence, sont d’ailleurs restées dans mon esprit, très liées à la peur;
D’abord la mienne, mais j’ai eu, en grandissant, l’impression que c’était aussi celle des autres.
Je devais avoir onze ans, dans les rues d’Oran, lorsque j’ai croisé la mort pour la première fois. Et tout de suite je ne l’ai pas aimée.
La mort était jeune, elle était bleue, comme la couleur du bleu de travail de l’arabe qui avançait vers moi, et que je trouvais grand, et que je trouvais fier...
Lorsqu’elle me croisa, la mort était vivante, et ne me regardait pas, puis j’entendis un cri, petit, mais douloureux...
Quand je me retournais, l’homme en bleu de travail vacillait, il venait d’être frappé de plusieurs coups de couteaux, et son corps n’en finissait pas de tomber dans le caniveau, pendant que plusieurs garçons, à peine un peu plus vieux que moi, se sauvaient en courant...
C’était un jour de “ratonnade”, un jour de mort, un jour de deuil, un jour où un blanc avait été assassiné quelque part dans Oran, et où des blancs avaient juré de se venger en assassinant à leur tour, au hasard...
Le hasard de la mort était passé tout près de moi, et par la suite, bien que bénéficiant d’un physique tout à fait Européen, lorsque je marchais dans les rues, j’avais peur d’être pris pour un Arabe, oubliant que la mort pouvait aussi venir d’un Arabe me prenant pour le Français que j’étais.
Après cette première rencontre avec la mort, mais aussi avec la haine, et surtout avec la peur, la guerre civile s’était installée dans la ville, et dans mon souvenir, elle raisonne encore comme des balles de ping pong, bruit auquel me faisaient penser les tirs d’armes automatiques.
Je me cachais souvent dans les toilettes, et j’entendais le bruit de cette balle de ping pong qui rebondissait si vite, et à laquelle d’autres rebonds répondaient, parfois interrompus par une explosion sourde d’une bombe au plastique.
Et chaque jour amenait son lot d’informations contradictoires, de morts épouvantables, de voisins “communistes” ou membres de “l’OAS”.
Et je vivais cela sans comprendre, sans savoir où était la juste cause, sans même savoir où était mon camp.
Une seule chose était certaine, la mort rôdait autour de nous, mais la vie, obstinée et inconsciente, continuait!
André Obadia
Souvenir d'enfance à Oran, Algérie
Je vis le temps béni de la retraite!
J'ai retrouvé le temps de penser et de réfléchir.
J'aime beaucoup partager, aussi, au delà de quelques écrits personnels, j'essaie de vous informer des évènements et des sujets qui me plaisent...cela va de l'actualité politique, de l'art, du cinéma en passant par
Voir le profil de ANDRE sur le portail Overblog