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LA MORT S'INVITE A PEMBERLEY / PHYLLIS DOROTHY JAMES / EDITIONS FAYARD

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Les inconditionnels de Jane Austen ne devraient pas bouder leur plaisir : dans cette nouvelle fiction, qui se distingue particulièrement des précédentes, P.D. James se livre à un exercice d'admiration pour l'auteur d'Orgueil et Préjugés, grand classique publié en 1813, et dont elle imagine une suite... criminelle ! La romancière reprend donc les personnages, mais aussi le ton et le style de la célèbre Anglaise, situant naturellement l'action en 1803 à Pemberley House, le domaine ancestral de la famille Darcy, dans le Derbyshire. La maîtresse des lieux, Elizabeth, la deuxième des cinq soeurs Bennet, qui a fini par épouser Mr Darcy, y coule des jours heureux aux côtés de son mari. Mais la veille du grand bal annuel de Pemberley, juste avant d'aller se coucher, Elizabeth et ses convives aperçoivent un cabriolet qui se dirige vers le château "avec force embardées" : il transporte Lydia, la plus jeune des soeurs Bennet, passablement agitée, qui craint pour la vie de son mari George Wickham, égaré dans le bois voisin. Or le couple a toujours été indésirable auprès des siens, en raison notamment du comportement "dissolu" de Wickham, et sa présence jette un grand trouble dans la maisonnée. Non seulement la mort s'invite à Pemberley, mais elle ravive les rancoeurs et les frustrations passées... Certes, P.D. James mêle habilement son art de l'intrigue et l'atmosphère propre à ce milieu de la gentry anglaise, où l'obsession de la bienséance le dispute à celle de l'argent. Mais attention : la veine "austienne", avec ses phrases empesées et ses personnages innombrables, peut parfois rebuter. D.P.

 

 

 

 

PD-James-1.jpgPhyllis Dorothy James, née en 1920 à Oxford, envoie son premier manuscrit en 1962, signé P.D. James afin de se faire passer pour un homme, et ça marche : avec A visage couvert, roman à énigme assez classique, elle s'attache déjà à la psychologie de son personnage, Adam Dalgliesh, policier de Scotland Yard, rôle principal de la majorité de ses livres - une vingtaine de titres au total. Après avoir travaillé dans la médecine légale, de 1968 à 1979, puis comme magistrat jusqu'en 1984, elle connaît bien le système policier et juridique.  

En 1971, Meurtres en blouse blanche la consacre nouvelle reine du crime.

 

 

 

 

Extrait

"A onze heures du matin le vendredi 14 octobre 1803, Elizabeth Darcy était assise à la table de son boudoir au premier étage de Pemberley House. La pièce n'était pas grande, mais ses proportions étaient particulièrement agréables et ses deux fenêtres donnaient sur la rivière. C'était l'endroit de la maison qu'Elizabeth s'était réservé et elle l'avait aménagé entièrement à son goût, avec des meubles, des rideaux, des tapis et des tableaux choisis à son gré parmi les trésors de Pemberley et disposés comme elle le souhaitait. Darcy avait personnellement surveillé les travaux, et le plaisir qui s'était reflété sur les traits de son mari quand Elizabeth avait pris possession de ce petit salon, ainsi que l'empressement avec lequel tous avaient cherché à satisfaire le moindre de ses désirs, lui avait fait comprendre, davantage encore que les splendeurs plus ostentatoires de la demeure, les privilèges dont jouissait Mrs Darcy de Pemberley. 

L'autre pièce du château qui lui procurait un enchantement presque égal à son boudoir était la superbe bibliothèque de Pemberley. C'était le fruit du travail de plusieurs générations, et son mari se faisait une joie, et même une passion, d'ajouter encore à ses richesses. La bibliothèque de Longbourn était le domaine réservé de Mr Bennet, et Elizabeth elle-même, qui était pourtant la préférée de son père, n'y entrait qu'à son invitation. Celle de Pemberley, en revanche, lui était aussi librement ouverte qu'à Darcy, et, avec les encouragements délicats et tendres de son mari, elle avait lu plus d'ouvrages, avec plus de contentement et de compréhension, au cours de ces six dernières années que durant les quinze précédentes, complétant ainsi une éducation qui, elle en prenait conscience à présent, n'avait jamais été que rudimentaire. Les dîners que l'on donnait à Pemberley n'auraient pu être plus différents de ceux auxquels il lui était arrivé d'assister à Meryton, où le même groupe de personnes colportait les mêmes cancans et échangeait les mêmes idées, l'unique semblant d'animation étant apporté par les nouveaux détails que Sir William Lucas ajoutait à la description de sa réception à la Cour de St James. Désormais, c'était toujours à regret qu'elle cherchait le regard des autres dames pour laisser les messieurs à leurs affaires masculines. Découvrir qu'il existait des hommes qui appréciaient l'intelligence féminine avait été une révélation pour Elizabeth. 

C'était la veille du bal de Lady Anne. Elizabeth avait passé la dernière heure en compagnie de Mrs Reynolds, l'intendante, à vérifier que les préparatifs suivaient leur train et que tout se passait pour le mieux, et elle était seule à présent. Le premier bal s'était tenu quand Darcy avait un an. Il avait été organisé en l'honneur de l'anniversaire de sa mère et, à l'exception de la période de deuil qui avait suivi le décès de son mari, il avait eu lieu chaque année jusqu'à la mort de Lady Anne. Il était fixé au premier samedi suivant la pleine lune d'octobre, une date qui coïncidait généralement à quelques jours près avec l'anniversaire de mariage de Darcy et Elizabeth. Mais ils s'arrangeaient toujours pour célébrer celui-ci paisiblement avec les Bingley, lesquels s'étaient mariés le même jour, estimant que c'était un événement trop intime et trop précieux pour s'accompagner de divertissements mondains. Pour répondre au voeu d'Elizabeth, le bal d'automne avait conservé le nom de bal de Lady Anne. Il était considéré à travers tout le comté comme la plus grande réception de l'année. Mr Darcy s'était pourtant demandé s'il était bien judicieux de respecter cette tradition en un temps où l'on avait déclaré la guerre à la France et où l'inquiétude montait dans tout le sud du pays, qui s'attendait à une invasion de Bonaparte d'un jour à l'autre. De plus, les moissons avaient été médiocres, avec toutes les conséquences que cela pouvait entraîner pour la vie rurale. Levant des yeux soucieux de leurs livres de comptes, certains messieurs avaient eu tendance à lui donner raison et à estimer qu'effectivement il serait préférable de renoncer au bal cette année, mais l'indignation de leurs épouses à cette suggestion avait été telle qu'elle leur laissait présager deux mois de contrariétés conjugales, au bas mot. Aussi avaient-ils fini par admettre que rien n'était plus propice à stimuler la confiance qu'un petit divertissement inoffensif et que Paris se ragaillardirait et se réjouirait à l'excès si cette ville plongée dans les ténèbres de l'ignorance apprenait que le bal de Pemberley avait été annulé. 

Les occasions de s'amuser et les distractions saisonnières de la vie à la campagne ne sont ni suffisamment nombreuses ni suffisamment attrayantes pour que les obligations mondaines incombant à une grande demeure soient indifférentes aux voisins susceptibles d'en bénéficier, et, une fois surmonté l'étonnement dû à l'objet de son choix, le mariage de Mr Darcy permettait d'espérer qu'il séjournerait plus fréquemment sur ses terres et que sa nouvelle épouse saurait prendre la mesure de ses responsabilités. Lorsque Elizabeth et Darcy étaient rentrés de leur voyage de noces en Italie, il leur avait fallu se plier aux visites de rigueur et endurer les félicitations et menus propos d'usage avec toute la grâce qu'ils pouvaient déployer. Ayant appris dès son enfance que Pemberley accorderait toujours davantage de bienfaits qu'il n'en pourrait recevoir, Darcy supportait ces réunions avec une sérénité tout à son honneur. Quant à Elizabeth, elle y trouvait une source secrète de divertissement, prenant plaisir à voir ses voisins employer tous les artifices propres à satisfaire leur curiosité sans porter préjudice à leur réputation de bonne éducation. Les visiteurs, pour leur part, pouvaient savourer un double plaisir: profiter de l'élégance et du confort du grand salon de Mrs Darcy pendant la demi-heure prescrite, avant de se livrer à une discussion animée avec leurs voisins sur la robe, le charme et les vertus de la jeune épouse et les chances de félicité domestique du couple. Il leur avait fallu moins d'un mois pour parvenir à un consensus: les messieurs étaient impressionnés par la beauté et l'esprit d'Elizabeth, leurs épouses par son élégance, son amabilité et la qualité des collations qu'elle faisait servir. On admettait que, malgré les regrettables antécédents de sa nouvelle maîtresse, Pemberley allait retrouver la place qui lui incombait dans la vie mondaine du comté, celle qu'il avait occupée du temps de Lady Anne Darcy

Elizabeth était trop réaliste pour ignorer que nul n'avait oublié ces antécédents et qu'aucune famille ne pouvait s'installer dans la région sans être dûment informée de la stupeur provoquée par le choix de Mr Darcy. Il était connu comme un homme fier, qui accordait une valeur suprême à la tradition et au prestige familial. Son propre père avait encore rehaussé la position de sa lignée en épousant la fille d'un comte. Il avait semblé qu'aucune femme ne posséderait les qualités requises pour devenir Mrs Fitzwilliam Darcy, et voilà qu'il avait jeté son dévolu sur la cadette d'un gentleman dont la propriété, grevée d'une clause de succession qui empêchait ses propres enfants d'en jouir à sa mort, était à peine plus vaste que le parc d'agrément de Pemberley. A en croire la rumeur, la fortune personnelle de cette jeune personne ne dépassait pas cinq cents livres ; et elle était affligée de deux soeurs célibataires et d'une mère d'une vulgarité telle qu'elle ne pouvait être reçue dans la bonne société. Qui pis est, une de ses jeunes soeurs avait épousé George Wickham, le fils déshonoré du régisseur du vieux Mr Darcy, dans des circonstances que la pudeur commandait d'évoquer à voix basse. Mr Darcy et sa famille se trouvaient ainsi encombrés d'un homme pour lequel il éprouvait un tel mépris que personne à Pemberley ne prononçait jamais le nom de Wickham et que le couple ne franchissait jamais la porte du château. Force était de reconnaître qu'Elizabeth était parfaitement respectable et les esprits les plus critiques eux-mêmes avaient fini par admettre qu'elle était plutôt jolie et qu'elle avait de beaux yeux, mais cette union continuait à susciter l'étonnement, voire l'indignation, de plusieurs jeunes demoiselles qui, sur le conseil de leurs mères, avaient refusé plusieurs partis avantageux pour ne pas risquer de laisser échapper le gros lot, et approchaient désormais de l'âge fatidique de trente ans sans la moindre perspective en vue. Elizabeth pouvait se consoler en se rappelant la réponse qu'elle avait faite à Lady Catherine de Bourgh le jour où la soeur de Lady Anne était venue, outragée, lui énumérer tous les désagréments qui l'attendaient si elle avait l'impudence de devenir Mrs Darcy. "Ce sont là de bien grands malheurs ! avait-elle rétorqué. Mais la femme de Mr Darcy jouira de telles sources de bonheur nécessairement associées à sa situation que, somme toute, elle n'aura aucune raison de se lamenter." 

Le premier bal où Elizabeth avait dû se tenir au côté de son mari en qualité de maîtresse de maison, sur les plus hautes marches de l'escalier, pour accueillir leurs invités avait été pour elle une perspective pour le moins intimidante, mais elle en avait magnifiquement triomphé. Elle adorait danser et n'hésitait plus à reconnaître que ce bal lui offrait autant de plaisir qu'à ses invités. Lady Anne avait méticuleusement noté de son écriture soignée toutes les dispositions qu'elle prenait pour préparer cet événement et son carnet, dont la superbe reliure de cuir était ornée des armoiries estampées des Darcy, servait encore. Elizabeth et Mrs Reynolds l'avaient consulté le matin même. La liste des invités n'avait guère changé, elle avait seulement été complétée par les noms des amis de Darcy et d'Elizabeth, parmi lesquels son oncle et sa tante Gardiner. Bingley et Jane étaient évidemment de la partie eux aussi et, cette année, ils devaient enfin venir en compagnie de leur propre invité, Henry Alveston, un jeune avocat séduisant, intelligent et plein d'entrain, qui était le bienvenu à Pemberley tout autant qu'à Highmarten. 

Elizabeth savait que le bal serait réussi. Rien n'avait été négligé à cette fin. On avait coupé suffisamment de bois pour alimenter toutes les cheminées, et plus particulièrement celle de la salle de bal. Le pâtissier attendrait le matin même pour confectionner les tartes et les tourtes délicates que les dames appréciaient tant, tandis que des volailles et d'autres bêtes avaient été égorgées et parées pour fournir la nourriture plus substantielle prisée des hommes. On avait déjà monté du vin des caves et râpé des amandes pour préparer une quantité suffisante de la soupe blanche très en vogue en ces années-là. Le vin chaud, qui en relèverait plaisamment le goût et la force et contribuerait largement à l'entrain de la soirée, serait ajouté au dernier moment. Les fleurs et les plantes vertes avaient été choisies dans les serres, prêtes à être disposées dans des seaux, dans le jardin d'hiver, afin qu'Elizabeth et Georgiana, la soeur de Darcy, en vérifient l'arrangement le lendemain après-midi ; et Thomas Bidwell, qui logeait dans un cottage en plein bois, devait déjà être à l'office en train de frotter les dizaines de chandeliers nécessaires pour la salle de bal, le jardin d'hiver et le petit salon réservé aux dames. Bidwell avait été le cocher de feu Mr Darcy, comme son propre père des précédents Darcy. Des rhumatismes dans les genoux et dans le dos l'empêchaient désormais de s'occuper des chevaux, mais ses mains étaient encore solides et il avait consacré toutes les soirées de la semaine précédant le bal à faire l'argenterie, à épousseter les chaises supplémentaires sur lesquelles trôneraient les chaperons et à se rendre indispensable de multiples façons. Demain, les équipages des propriétaires terriens et les voitures de louage des invités de condition plus modeste remonteraient l'allée pour déverser leur contenu de passagères caquetantes, aux robes de mousseline et aux somptueux chapeaux recouverts d'une cape pour les abriter des frimas de l'automne, toutes frémissantes à l'idée de retrouver les réjouissances du bal de Lady Anne. 

Dans l'ensemble de ces préparatifs, Mrs Reynolds avait été la précieuse auxiliaire d'Elizabeth. Les deux femmes avaient fait connaissance le jour où Elizabeth était venue à Pemberley en compagnie de son oncle et de sa tante. L'intendante, qui connaissait Mr Darcy depuis sa plus tendre enfance, l'avait reçue et lui avait fait visiter le château. Elle s'était montrée si prodigue d'éloges envers Darcy, tant comme maître que comme homme, qu'Elizabeth s'était demandé pour la première fois si les préjugés qu'elle nourrissait à son endroit n'étaient pas injustifiés. Elle n'avait jamais évoqué le passé avec Mrs Reynolds mais elles étaient devenues très proches, et, par son soutien plein de délicatesse, l'intendante avait été d'un très grand secours pour Elizabeth, laquelle avait pris conscience, avant même d'arriver à Pemberley comme jeune épouse, qu'être la maîtresse d'une telle demeure, responsable du bien-être d'une domesticité aussi nombreuse, n'aurait pas grand-chose à voir avec la tenue du ménage de Longbourn. Mais sa gentillesse et son intérêt sincère pour la vie de ses serviteurs avaient rapidement convaincu ces derniers que leur nouvelle maîtresse se souciait de leur bonheur. Tout avait été plus aisé qu'elle ne l'avait imaginé, moins pénible même que l'administration de Longbourn car les domestiques de Pemberley, dont la majorité étaient en place depuis de longues années, avaient été formés par Mrs Reynolds et par Stoughton, le majordome, dans la tradition voulant que la famille du maître ne dût jamais être incommodée et fût en droit de s'attendre à un service irréprochable. 

Elizabeth ne regrettait pas grand-chose de sa vie d'autrefois, mais c'était vers le personnel de Longbourn que ses pensées se portaient le plus fréquemment? : Hill, la femme de charge, qui n'ignorait aucun de leurs secrets, pas même la fameuse fugue de Lydia, Wright, la cuisinière, qui ne se plaignait jamais des exigences pour le moins déraisonnables de Mrs Bennet, et les deux bonnes qui, en plus de leurs tâches domestiques, leur servaient de femmes de chambre, à Jane et elle, et les coiffaient avant les bals. Elles faisaient partie intégrante de la famille, d'une manière que ne connaîtraient jamais les serviteurs de Pemberley, mais elle savait que c'était Pemberley - la demeure elle-même et les Darcy - qui réunissait famille, personnel et tenanciers dans une loyauté commune. Nombre d'entre eux étaient les enfants et les petits-enfants d'anciens serviteurs ; le château et son histoire coulaient dans leurs veines. Et elle avait parfaitement conscience que la naissance des deux petits garçons, charmants et en bonne santé, qui occupaient la nursery à l'étage - Fitzwilliam, qui avait presque cinq ans, et Charles, qui venait d'en avoir deux - avait scellé définitivement sa victoire auprès des gens de Pemberley, désormais assurés que la famille et sa lignée se prolongeraient, qu'ils auraient toujours du travail, ainsi que leurs enfants et leurs petits-enfants, et que des Darcy continueraient d'habiter à Pemberley. 

Voilà presque six ans, un matin qu'elles examinaient la liste des invités, le menu et les fleurs du premier dîner que donnait Elizabeth, Mrs Reynolds lui avait dit: "Cela a été un jour de bonheur pour nous tous, Madame, que celui où Mr Darcy a conduit son épouse chez lui. Le voeu le plus cher de ma maîtresse aurait été de vivre assez longtemps pour voir son fils marié. Hélas, le destin en a décidé autrement. Mais je sais combien elle souhaitait ardemment, tant pour lui-même que pour Pemberley, qu'il fût heureusement établi." 

La curiosité d'Elizabeth avait eu raison de sa discrétion. Elle avait feint de ranger des papiers sur son bureau pour ne pas avoir à relever les yeux et avait commenté, d'un ton dégagé : "Mais peut-être pas avec cette femme-là. Lady Anne Darcy et sa soeur n'avaient-elles pas jugé qu'une union entre Mr Darcy et Miss de Bourgh serait opportune ? 

- Je ne dis pas, Madame, que Lady Catherine n'ait pu caresser pareil dessein. Elle venait bien souvent à Pemberley avec Miss de Bourgh quand elle savait que Mr Darcy s'y trouvait. Mais ce projet était voué à l'échec. Miss de Bourgh, cette pauvre demoiselle, a toujours été de constitution fragile et Lady Anne faisait grand cas de la santé chez une épouse. Nous avons entendu dire que Lady Catherine espérait que le deuxième cousin de Miss de Bourgh, le colonel Fitzwilliam, lui ferait sa demande, mais il n'en a rien été." 

Revenant au présent, Elizabeth glissa le carnet de Lady Anne dans un tiroir puis, peu pressée de renoncer à la paix et à la solitude dont elle ne pouvait plus espérer jouir qu'au lendemain du bal, elle s'approcha de l'une des deux fenêtres donnant sur la longue allée incurvée qui conduisait au château et à la rivière, bordée par le célèbre petit bois de Pemberley. Il avait été planté sous la direction d'un éminent jardinier paysagiste plusieurs générations auparavant. Chaque arbre de la lisière, d'une forme parfaite et pavoisé des ors chauds de l'automne, se dressait, un peu détaché des autres, comme pour souligner sa beauté singulière ; la plantation se faisait ensuite plus dense tandis que le regard était habilement attiré vers la riche solitude de l'intérieur de la futaie, fleurant le terreau. Une deuxième forêt, plus vaste, occupait la partie nord-ouest du domaine. Là, on avait laissé les arbres et les buissons pousser naturellement et Darcy, quand il était petit garçon, avait fait de ce bois son terrain de jeux et son refuge secret loin de la nursery. Son arrière-grand-père qui, lorsqu'il avait hérité du domaine, s'était coupé du monde, y avait fait construire un cottage où il avait vécu en reclus avant de se donner la mort d'un coup de fusil. Depuis ce jour, cette forêt - qu'on appelait "le bois" pour le distinguer de la plantation d'arbres d'ornement - inspirait une peur superstitieuse aux domestiques et aux tenanciers de Pemberley. Aussi s'y rendait-on rarement. Un étroit chemin le traversait, rejoignant une deuxième entrée du domaine, mais cet accès était essentiellement emprunté par les fournisseurs ; les invités remonteraient la grande allée, leurs voitures seraient remisées dans les écuries avec les chevaux, tandis que les cochers seraient accueillis dans les cuisines pendant la durée du bal. "

 

Traduit de l'anglais par Odile Demange. Copyright Fayard. 

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J'adore l'art de PD James pour camper un personnage:
"Personne n'avait pensé que Mary se marierait. C'était une lectrice acharnée qui dévorait les livres sans discrimination ni compréhension, une pianiste assidue mais dénuée de talent, et une grande débiteuse de platitudes sans sagesse ni esprit...."
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À propos
ANDRE

Je vis le temps béni de la retraite! J'ai retrouvé le temps de penser et de réfléchir. J'aime beaucoup partager, aussi, au delà de quelques écrits personnels, j'essaie de vous informer des évènements et des sujets qui me plaisent...cela va de l'actualité politique, de l'art, du cinéma en passant par
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