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A L’AUBE, LE CINEMA / ECRIT PERSONNEL / NOUVELLE

A L'AUBE, LE CINEMA / NOUVELLE ANDRE OBADIA / JUILLET 2014

A L'AUBE, LE CINEMA / NOUVELLE ANDRE OBADIA / JUILLET 2014

J’ai toujours été naïf.

Je m’étais totalement assoupi dans la chaleur du soir, il faisait si bon allongé à l’abri de la dune de cette grande plage normande. J’avais besoin de récupérer de la veille et de cette course poursuite qui me semblait avoir pris fin sur le ferry transmanche. Je revoyais  défiler comme dans un cauchemar l’agression du bijoutier dans un hôtel de Portsmouth.

 Je fus réveillé par la fraîcheur de l’aube, et mes yeux cherchaient la netteté, comme lorsqu’on arrive en retard au cinéma et que la salle est déjà  noire, seulement éclairée par les images du film. Habitué à la surveillance, comme Gérard Lanvin dans  Le goût des autres, j’observais les alentours, encore loin de Rouen où j’aurais aimé me trouver en ce passage difficile de ma vie.

Mon regard fut d’abord attiré par une jeune femme qui marchait  vers la mer: sa démarche me rappelait Catherine Spaak qui venait rejoindre Jean-Paul Belmondo sur la plage de Zuydcoote. Mon esprit devait subir l’influence des célébrations du soixante-dixième anniversaire du débarquement. Le bruit d’un moteur d’avion vint compléter cette impression. J’imaginais ce que devait être une approche en rase-motte pour éviter les mitrailleuses du mur de l’Atlantique, ces ennemis à l’abri des blockhaus, sûrs d’être les plus forts, maîtres de notre pays comme de l’Europe. Mais aujourd’hui, tous les chefs d’états se retrouvent dans les tribunes sur la plage de Riva Bella à Ouistreham, loin de ce que fut la prise du village par les hommes du commandant Kieffer  ou l’arrivée de Lord Lovat sur Pegasus bridge au son de la cornemuse. Toutes les nations semblent réconciliées même si le sang coule en Ukraine pour préserver le pays des appétits de son voisin russe.

Il est toujours curieux de suivre l’esprit qui vagabonde: le tapis de sable lisse me faisait penser à la toile d’un écran de salle de cinéma. Le lever du jour avec sa lumière montante me donnait encore l’impression d’une salle de spectacle, lorsque la lumière revient  progressivement pour marquer la fin du film ou de la pièce de théâtre. Charles Chaplin parlait des lumières de la rampe.

J’étais très fasciné par le monde  de l’image et du rêve. Je me sentais comme un singe en été voulant imiter  Belmondo, tel un toréador affrontant les voitures sur la route du bord de mer. Je remarquais un vieux monsieur avec les cheveux argentés de Jean Gabin: je le voyais se préparer à allumer les fusées d’un feu d’artifice sous le regard amusé de Noël Roquevert, pour le grand plaisir des habitants de Villerville. Mon esprit n’a pas le temps de se fixer, que déjà, sur la plage, des rangées de parasols me transportent vers Deauville où Jean-Louis Trintignant a enfin rejoint Anouk Aimé devant la caméra itinérante de Claude Lelouch. Mon regard s’attarde sur un homme et une femme, allongés sur le sable et qui s’embrassent à pleines bouches en oubliant les baigneurs alentour arrivés pour profiter des premiers remous.

La journée sera  longue sous le soleil de juin, je pense aux cigales si bruyantes  dans le sud,  et  mon esprit me ramène aux criquets du débarquement et au signe de ralliement des soldats dans la nuit. Je revois cette scène où un Américain avait actionné le signal auquel il reçut en réponse l’armement d’un fusil Allemand faisant le même bruit derrière une haie…

Mais déjà mon regard se fixe sur la pointe du Hoc, les grappins s’accrochent à la colline mais il n’est pas facile d’atteindre le sommet d’où l’ennemi profite de la situation pour résister, enlevant bien des vies aux assaillants de la liberté. Je me suis étiré en me relevant de ce somme à la belle étoile et l’envie me prend de rejoindre ma voiture pour gagner la colline au-dessus d’Arromanches. Je sais que l’émotion sera toujours la même en regardant les blocs de béton qui avaient été coulés le 6 juin 1944 pour créer de toute pièce un immense port artificiel indispensable pour assurer l’acheminement des approvisionnements de cette armée de reconquête.

Stationné sur le parking du cinéma à 360°, je ne peux m’empêcher de rejoindre la projection pour revivre quelques moments comme si j’étais au cœur de cette époque, au milieu des soldats, des véhicules ou du public émerveillé par l’arrivée de ses libérateurs. Une nouvelle fois, mon esprit voyage sur les grands moments de cette longue, très longue journée. L’image du parachutiste suspendu au clocher de Ste Mère l’Eglise revient, particulièrement émouvante. Je réalise à quel point le cinéma a contribué à frapper  nos  esprits  avec ces drames humains, comme par exemple  Il faut sauver le soldat Ryan. Ce film américain a été tourné à Colleville où le cimetière militaire a été concédé aux américains, et où c’est le Président Obama qui a reçu le Président français lors des toutes récentes cérémonies. De même, le Canada dispose d’une enclave près de Lens, à Vimy, où de nombreux hommes reposent à l’ombre des érables. Mais si la Normandie a souvent inspiré les réalisateurs de cinéma, fort heureusement, elle ne l’a pas fait uniquement autour de la seconde guerre mondiale.

François Truffaut avait choisi Honfleur pour Les 400 coups de Jean-Pierre Léaud. Combien d’élèves ont dû reprendre l’excuse un peu folle de l’enfant « Monsieur, ma mère est morte »…Honfleur attire beaucoup de touristes tout au long de l’année. Le village a gardé son cachet et il est entré dans la légende grâce à Boudin, professeur de dessin local qui fut si prolifique pour illustrer les ciels normands, les bords de mer et les vaches dans les champs. Le Muma du Havre en présente tout un mur dans ses collections permanentes.

 Le Havre, ville souvent moquée et pourtant souvent choisie par les réalisateurs pour y filmer des histoires poignantes, comme la transposition de  38 témoins. Yvan Atal excelle dans son rôle courageux, osant seul avouer sa faiblesse et son indifférence, la nuit où une jeune femme hurle à la mort son calvaire au moment d’un viol mortel rue de Paris, que tout le monde a vu ou entendu, mais que personne n’ose reconnaître pour cacher la noirceur humaine.

Le Havre de Grâce, comme on l’appelait autrefois, impressionne par ses avenues rectilignes conçues par Perret et classée au patrimoine mondial. Son port très important reçoit d’énormes porte-conteneurs qui passent l’entrée du port face au musée, lorsque la marée le permet. Les monstres marins entrent et sortent escortés par les  abeilles des pilotes de la Seine. Là encore, le souvenir de la dernière guerre mondiale vient rappeler que nos alliés anglais avaient entièrement détruit la ville, espérant faire disparaître un port commercial concurrent. Mais la ville s’est relevée, forte de ses deux cent mille habitants, et compte toujours parmi les grands ports européens. Pourtant, le Quai des brumes reste dans ma mémoire, là où Gabin  admire les jolis yeux de Michèle Morgan. Plus loin encore, l’image de Pierre et Jean Roland, les deux frères si différents, campés par Maupassant, semblent faire résonner encore leurs pas dans la nuit profonde. Pierre presse l’allure pour rendre visite à Marowsko, le pharmacien polonais. Jean a plutôt la tête à conquérir Rosémilly, la jeune et jolie veuve.

Tous mes vagabondages cinématographiques me ramènent sur la plage au sable doré, et je laisse mon fantasme courir après la Catherine Spaak du matin, je me prends à rêver de retrouvailles langoureuses…elle est assise sur sa valise, un traveling avant me fait détailler son visage un peu fripon avec son joli petit nez retroussé, une mèche blonde descend sur sa joue, dissimulant un œil que je soupçonne de m’épier. Je la gratifie d’un sourire que j’espère charmeur, elle me répond d’un frémissement de lèvres, j’imagine que la caméra aura saisi cet instant de complicité, juste avant de s’attarder sur notre premier baiser. Elle s’est laissé soulever, et le réalisateur filme ses vêtements qui tombent sur le sable comme les feuilles mortes d’un automne imaginaire, mes mains pétrissent ses fesses offertes et nous consommons cette rencontre sur la serviette que j’avais posée près de sa valise. J’entends la chanson de Souchon en fond sonore,  Un baiser.

C’est le retour aux plages du nord, si semblables à celles de la Normandie au sud ou de la Belgique plus au nord encore. Mais je n’ai pas le temps de prolonger ce moment délicieux…

Un petit canot vient de déposer trois hommes armés sur la plage…Je me doutais qu’ils finiraient par me retrouver. J’espérais les avoir semés à Porthmouth, au moment où j’avais pris en hâte le ferry. J’avais pourtant été rapide pour subtiliser la valise du diamantaire à l’hôtel…

J’avais organisé un rendez-vous avec un représentant d’une grande marque de bijoux afin de choisir un collier pour l’anniversaire de ma femme. L’homme avait été ponctuel et avait ouvert sa mallette sur la table basse. Il m’avait présenté de très jolies parures serties de diamants superbes qui arrivaient d’Amsterdam. J’avais longuement hésité, me déplaçant de la table à la glace de la belle armoire ancienne qui meublait la pièce. Le vendeur me suivait du regard, attentif à mes moindres gestes, soucieux de protéger son bien précieux. J’eus cependant un court instant pour l’assommer lorsque le téléphone retentit et qu’il tourna instinctivement la tête vers le récepteur. L’homme tomba lourdement sur la moquette, m’abandonnant sa belle valise garnie de cinq jolis colliers. Sans demander mon reste, j’étais sorti de l’hôtel pour me diriger vers le bord de mer. Soulagé, j’étais monté sur le bateau transmanche sur le point de quitter l’embarcadère.

Ce n’était pas le casse du siècle, j’étais loin du  Cerveau  tourné à Rouen et au Havre. Je me souviens encore de la statue de la liberté qui avait eu bien du mal à traverser les rues étroites de Rouen avant de déverser son flot de billets sur le port du Havre au rythme des majorettes en rouge et blanc. Le plus surprenant est que cette copie de la célèbre statue coule aujourd’hui des jours heureux à l’entrée du centre commercial de Barentin.

 Quoi qu’il en soit, j’étais ravi de mon coup d’audace même s’il ne me restait plus qu’à fuir devant ces hommes de main sortis des flots. Je sentais cette petite goutte de sueur qui perlait sur mon front. Je répondis au regard interrogateur de la jeune fille allongée nue sur ma serviette de plage par un « désolé » avant de courir me cacher derrière la dune blanche. Les trois hommes ne m’avaient pas repéré, ou du moins le croyais-je dans ma naïveté, et je pus finir de me rhabiller tout en les observant de mon abri naturel. Je n’appréciais guère ce débarquement inattendu qui venait contrarier mes projets. Tel un espion, je regagnai à moitié penché, ma voiture sur le parking, et le fait de m’installer au volant m’apporta un cours instant de soulagement. Mais je savais qu’il me fallait quitter rapidement ce lieu afin de mettre un maximum de distance entre mes poursuivants et moi. Je conduis  moins bien que Steve McQueen dans Bullitt, mais je fis crisser les pneus de la voiture au démarrage. Avant de m’éloigner, je pus constater dans mon rétroviseur qu’une grosse voiture noire attendait mes agresseurs et me prenait  en filature. Ma chemise me collait déjà à la peau, j’avais peur et je roulais en trombe un peu au hasard. Dans ma panique, une idée m’était tout de même venue. Il fallait que je gagne une grande ville pour essayer de me perdre dans la foule. La direction de Caen s’imposait et j’espérais ne pas être rattrapé avant d’y parvenir. Je tentai de cacher mon véhicule dans une petite rue de la vieille ville, et une fois encore le cinéma vint à mon secours. Je pris en hâte un ticket au guichet de la salle d’art et d’essai où ils passaient un cycle des films de guerre, en commémoration du débarquement de 1944. Lorsque je m’assis dans le noir, je reconnus le film  Les diables de Guadalcanal  de Nicholas Ray.

Je me laissai glisser dans mon fauteuil au moment où la bataille faisait rage sur l’écran, la salle était presque déserte. Je n’avais pas vu l’homme qui s’était assis derrière moi. Il devait penser que j’avais bien fait de choisir ce film car il profita d’une rafale sur l’écran pour appuyer sur la détente. Je sentis le projectile me traverser les côtes, une grande douleur me fit sursauter, une nouvelle fois je sentis ma chemise se coller à ma peau, je savais que c’était du sang, je ressentis comme un énorme chagrin, je savais que j’arrivais au bout du voyage, à la fin du film, j’avais la sensation de n’avoir vu qu’un court métrage, je n’eus pas le temps de m’apitoyer davantage sur moi-même, le rideau venait de tomber.

Dans la salle obscure, un homme vient de prendre la mallette au pied d’un corps inerte. Avec calme il sort de la salle de cinéma pour se fondre dans la foule des passants, il s’éloigne sans souci.

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ANDRE

Je vis le temps béni de la retraite! J'ai retrouvé le temps de penser et de réfléchir. J'aime beaucoup partager, aussi, au delà de quelques écrits personnels, j'essaie de vous informer des évènements et des sujets qui me plaisent...cela va de l'actualité politique, de l'art, du cinéma en passant par
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