Depuis déjà trois ans, ma vie n'a connu d'autre horizon que la rue Fènelon, le boulevard Ferry et la place Saint Augustin.
La rue Fènelon, où je possède un appartement, est une rue mal famée, dont les rigoles jettent à vos narines des odeurs intolérables, et que vous subissez jusque dans votre salon.
Mon gîte était en effet constitué d'un salon, ou du moins, d'une pièce que je vouais à cette renommée, et qui servait de lieu de rendez-vous à tous les intellectuels dégénérés de mon quartier.
Le salon était d'ailleurs l'unique pièce au mobilier rongé d'humidité.
C'est dans ce salon repoussant que j'ai connu le monde, les hommes et leur destin.
Mon meilleur ami, un homme d'environ quatre vingts ans, ne portait son dentier que dans les grandes occasions, en l'occurrence, les jours de discussions philosophiques où nous écorchions le peu qui subsistait de notre piètre raison.
Oui, bien souvent, nous laissions mourir les heures à bavarder, et lorsque l'atmosphère devenait insupportable, nous nous saoulions, pour oublier.
J'avais besoin de m'oublier, d'oublier le boulevard Ferry où je voyais chaque matin passer la femme de ma vie qui ne me remarquait pas, et cette place Saint Augustin, où, dans la boutique poussiéreuse du père Lamolette, je jouais le rôle intolérable de garçon de course.
Garçon de course à quarante huit ans, ç'avait été la consécration de ma vie, ma plus belle promotion.
Pensez-donc, devenir garçon de course au lieu de rester laveur de vitres!
Pourtant je suis intelligent, et de cela je suis certain depuis mon plus jeune âge!
Mon entourage prétend toujours que mon esprit connaît la vivacité de la foudre et la violence du tonnerre!
J'aurais pu être un type extraordinaire affirme mon ami lorsqu'il m'entend parler, il faut dire que je parle très bien!
Je crois en effet que je suis homme à soulever des foules, et parfois, j'éprouve le désir de mettre mes dons à l'épreuve, mais trop certain de mon triomphe, je préfère renoncer.
Renoncer, c'est ce que j'ai le mieux su faire dans mon existence. Il n'y a rien que j'ai entrepris et mené à bien jusqu'au bout.
Je suis comme ça, rien ne me passionne.
Mon seul opium est l'amour que je porte à la pourriture de l'existence, un amour fou, parfois même passionné, et souvent insensé.
J'aime ma rue Fènelon, elle sent mauvais, toujours mauvais et c'est si bon!
Pourtant, un fait nouveau est venu bouleverser ma vie, détruire mes espérances.
Que vais-je devenir à présent que le père Lamolette est mort?
Il est mort d'une drôle de manière!
C'est arrivé ce matin, à l'instant où je lui ai serré la main.
Il m'a souri et cela m'a déplu.
J'ai horreur qu'on me sourit, j'ai horreur que l'on m'aime.
Je n'admets pas qu'on puisse aimer une ordure, et je suis une ordure puisque j'aime les ordures.
Alors, quand il m'a souri, le sang m'est monté à la tête et je l'ai frappé, frappé, comme un sourd qui n'entend pas les cris de sa victime, j'ai frappé jusqu'à ce que mes mains soient maculées de sang.
Puis j'ai pleuré, mais c'était pour rire, parce que je n'avais pas de peine, au contraire, j'étais bien content d'avoir fait quelque chose.
Je suis sorti de la boutique en courant, je tenais à la main un plein bol de son sang, la femme de ma vie s'est retournée sur mon passage mais elle n'a pas souri, je crois qu'elle m'a compris. Mais ce que je n'ai pas saisi, c'est pourquoi elle a appelé un agent.
A l'asile, tout le monde est très gentil avec moi...
A.Obadia
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gérard planterose 06/11/2009 13:38
andré 18/10/2009 18:42
PERRIER 17/10/2009 12:20